La finale de 2011, perdue d’un point contre les All Blacks (8-7), reste comme « une cicatrice éternelle, mais (…) pas moche », avoue à l’AFP le capitaine français d’alors Thierry Dusautoir (41 ans, 80 sél.), frustré par l’arbitrage de Craig Joubert.
Question: Vous n’abordiez pas cette édition dans les meilleures conditions…
Réponse: « On sait qu’on a une bonne équipe mais pas les résultats qui correspondent à notre standing. On termine à la deuxième place du Tournoi 2011 avec une défaite à Rome qui est une grosse tâche dans notre parcours. On aborde cette compétition avec de l’espoir et pas mal de doutes aussi que la préparation ne permet pas entièrement de lever. On n’arrive pas à effacer les dissensions, les divergences sur la façon de jouer, avec ce qui nous était demandé. Marc (Lièvremont) prônait un jeu offensif et nous, on voulait plus s’appuyer sur notre force, notamment devant, sur la conquête avec une grosse défense. »
Q: En poule, il y avait eu des succès tardifs face au Japon et au Canada, une défaite logique contre la Nouvelle-Zélande et surtout cet accroc face aux Tonga (19-14)…
R: « C’est un tremblement de terre, ça remet tout en cause. On ne s’y attendait vraiment pas. Cette défaite aurait pu nous couler mais, finalement, elle est salvatrice car on a su crever l’abcès et poser les choses pour se remettre comme objectif ce quart de finale contre l’Angleterre. Plus qu’une autogestion, il y a une prise en main du groupe par les leaders, avec un investissement tout autre. Notre Coupe du monde a réellement commencé les jours suivants la défaite face aux Tonga. »
Q: Comment parvient-on à vaincre le signe indien contre les Anglais, qui vous avaient défaits en 2003 et 2007?
R: « Ce sont les circonstances. Quand tu as perdu la semaine d’avant contre les Tonga, tu ne te poses aucune question. On ne gagne pas contre les Anglais, on les pulvérise (16-0 à la mi-temps, NDLR). Je me souviens de la façon avec laquelle on rentre sur le terrain, on leur saute à la gorge, on ne les lâche plus jusqu’à la fin. Paradoxalement, en demie contre les Gallois (9-8), le carton rouge de (Sam) Warburton (19e) nous tétanise un peu. On le joue avec la peur de perdre plus que l’envie de gagner. »
Q: En finale, vous retrouvez les All Blacks, un mois après votre défaite en poule (37-17). Quel était votre état d’esprit?
R: « C’est à nouveau un match hors du temps. Pour un joueur français, c’est le Graal d’affronter la Nouvelle-Zélande en finale de la Coupe du monde. La victoire de justesse contre les Gallois ne nous a pas déstabilisés: collectivement, on se sent très fort et on ressent une forte unité de groupe face aux éléments extérieurs, les médias, les critiques qui nous renforcent plus qu’autre chose. Être en finale, personne ne l’aurait parié et on y est, non pas grâce à notre technique ou notre plan de jeu mais avec notre état d’esprit. »
Q: Est-ce le match le plus frustrant de votre carrière?
R: « Oui, clairement car le résultat ne traduit pas ce qui s’est passé pendant 80 minutes. Mais ça reste aussi un très grand souvenir, le plus beau même s’il n’y a pas eu la cerise sur le gâteau. On a fait tout ce qu’il fallait pour le remporter. Durant ce match, il y a quand même plusieurs décisions qui auraient pu nous permettre de prendre l’avantage. En tant que capitaine, soit tu fais exploser ta frustration et tu romps le dialogue avec l’arbitre, soit tu essayes de discuter pour lui faire comprendre qu’il se trompe. De façon consciente ou inconsciente, un arbitre est influencé par le parcours des deux équipes jusque-là. Celle qui domine son rugby a toujours un a priori favorable, elle a le bénéfice du doute. Je ne pense pas que Craig Joubert, qui est le meilleur arbitre du moment en 2011, soit rentré sur le terrain ce jour-là en disant +je ne vais pas siffler aux Français les fautes qui leur reviennent+. Ce match-là a laissé des traces pour lui aussi. »
Q: Douze ans après, la cicatrice est-elle toujours présente?
R: « C’est une cicatrice éternelle mais que tu peux afficher car elle n’est pas moche. En 2015 (défaite en quart 62-13, NDLR), c’est une cicatrice que tu veux faire disparaitre, un match pour lequel je ressens encore beaucoup de honte. En 2011, on n’a rien à se reprocher. Mais on ne va pas se torturer ad vitam æternam par rapport à des choses sur lesquelles on n’a pas d’impact. On aurait dû peut-être l’avoir avant en construisant différemment notre parcours. »
Propos recueillis par Raphaël PERRY
© 2023 AFP
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