Le match France-Afrique du Sud dimanche ravive le souvenir de la demi-finale du Mondial-1995, entrée sous une pluie battante dans la légende pour son dénouement aussi historique pour les Springboks que frustrant pour les Bleus.

Pour la nation-hôte, le tournoi dépassait le sport: il s’agissait de la première participation sud-africaine au Mondial de rugby après avoir été bannie des deux premières éditions pour cause d’apartheid.

Alors même que ce sport était un symbole de la domination blanche et que Chester Williams était le seul non blanc de l’équipe, Nelson Mandela, élu un an plus tôt président après 27 années en prison, s’est employé à transformer l’événement en symbole de réconciliation: un acte de naissance de la nation arc-en-ciel, magnifié par le sacre mondial.

Pour certains Français déçus par la défaite (19-15), cette dimension politique aurait conduit à un traitement de faveur: les Boks ne pouvaient pas perdre.

– La fierté sud-africaine –

« Il y a des variables en rugby qu’on ne maîtrise pas: le temps, le rebond d’un ballon et les décisions de l’arbitre. Mais c’est aussi la beauté de ce sport, avec ses petites injustices », philosophe l’ancien troisième ligne Laurent Cabannes à l’évocation de cette demi-finale qui avait débuté avec plus d’une heure de retard malgré le déluge sur le Kings Park de Durban, le 17 juin 1995.

Tous les Bleus de l’époque ne sont pas sur cette ligne de retenue. Le sélectionneur Pierre Berbizier n’a pas digéré: « C’est un des scandales des Coupes du monde. Tout le monde l’a reconnu et le reconnaît maintenant. Évidemment que la dimension politique a pris le pas sur la dimension sportive. »

Pourquoi, alors, ressasser ce match, version rugbystique de Séville 1982, cruelle défaite des Français face à l’Allemagne au Mondial espagnol de football?

Parce que les légendes de perdants magnifiques fonctionnent toujours ; parce que l’aura de Nelson Mandela, vêtu de ce maillot Springbok, a plané sur cette édition. « Nous cherchions quelque chose pour nous rendre fiers et les Springboks sont arrivés en 1995 », raconte le commentateur sud-africain Jody Hendricks.

Et côté français aussi parce qu’Abdel Benazzi a été grand… même s’il lui a manqué quelques centimètres aux yeux de l’arbitre pour inscrire l’essai de la victoire dans les ultimes instants du match.

– « On leur rendait tous 20 kilos » –

Le talonneur Jean-Michel Gonzalez n’a rien oublié de ce « samedi apocalyptique et bizarre, ces trombes d’eau et l’entrée de toutes ces mamans noires balayant le terrain avec une raclette ».

Dans ces conditions favorisant « un jeu plus limité, restrictif, direct, basé sur la conquête, l’occupation et la défense », l’ADN des Springboks selon Cabannes, le XV de France souffre « face à des mecs durs au mal, volumineux, différents » dixit Gonzalez. Jusqu’à un essai de Ruben Kruger qui, à en croire Philippe Sella, aurait aplati sur le centre français.

Sur ce terrain détrempé, touches, mêlées, rucks et chandelles se font la part belle et les Bleus, au répondant physique avec les Benazzi, Cécillon, Roumat et Merle, attendent leur heure. En deuxième période, les Sud-Africains reculent et sont sauvés, déjà, par l’arbitre gallois Derek Bevan, qui refuse deux essais à Fabien Galthié et Philippe Sella.

Survient alors cette charge de la 78e minute de Benazzi, « que j’ai refait 20 fois, 200 fois: je passe derrière la ligne avec la vitesse qui était la mienne sur ce terrain glissant mais l’arbitre ordonne une mêlée à cinq mètres ».

La mêlée fermée, « seul secteur de jeu où on pouvait les prendre, même si on leur rendait tous vingt kilos », rappelle à l’AFP le pilier Louis Armary. « Ils pensaient qu’avec leur masse physique, ça suffisait mais il manquait la technique du poste quelque part ».

– Bevan et la montre en or –

La première est écroulée par les Sud-Africains sans réprimande arbitrale. La deuxième est désaxée, la troisième est enfoncée et Gonzalez se dit « que, à un moment donné, ça va payer », avec un essai de pénalité qui ne vient pas. Sur la quatrième, Fabien Galthié décide d’ouvrir au large sur Thierry Lacroix qui se fait coffrer. Ballon rendu, fin des illusions.

« C’est un sentiment d’injustice qui prédomine », avoue Benazzi qui, de retour au vestiaire, calme tout le monde en affirmant qu’il n’a pas marqué. « La politique a pris le pas et cela s’est confirmé lors de ce dîner officiel après la finale où il (M. Bevan) a été remercié avec une montre en or » offerte par la Fédération sud-africaine.

Une semaine plus tard, les Springboks s’offrent le titre mondial aux dépens des All Blacks (15-12 ap), diminués par une intoxication alimentaire. « C’était un événement promis aux Sud-Africains, pas pour nous », affirme Gonzalez.

Dans le camp des vainqueurs, on a une autre vision. « Tout est allé dans le sens de l’Afrique du Sud » ce jour-là, reconnaît Jody Hendricks. « Mais du point de vue sud-africain », ce match « a été remporté par les Springboks parce qu’ils avaient la meilleure équipe ce jour-là, indépendamment de tout ce qui s’est passé autour du match. »

© 2023 AFP

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