L’encéphalopathie traumatique chronique, fléau mal connu

« Pas de raison que ça n’existe pas dans le rugby »: l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC), maladie neurologique liée aux commotions et dont souffrait le demi de mêlée néo-zélandais Billy Guyton avant sa mort, pourrait toucher de nombreux rugbymen.

Maux de tête, incapacité à se concentrer, hypersensibilité aux sons, nausées, vertiges: en mai 2018, la liste des maux dont souffrait Billy Guyton expliquait sans mal sa retraite prématurée, à l’âge de 28 ans, après avoir subi plusieurs commotions dans sa carrière.

Le demi de mêlée néo-zélandais, qui a principalement évolué dans le championnat national mais a aussi joué en Super Rugby, notamment sous le maillot des Auckland Blues aux côtés des All Blacks Charlie Faumuina ou Jerome Kaino, décide alors de jeter l’éponge, après une nouvelle alerte en raison d’un choc à l’entraînement.

« C’est la meilleure chose pour ma santé et ma famille », explique-t-il à l’époque au Nelson Weekly, l’hebdomadaire local de la baie de Tasman, dans l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, où évoluait le joueur sous le maillot des Tasman Mako.

Sa mort dramatique à 33 ans en mai 2023, d’un suicide d’après la presse néo-zélandaise, n’a pourtant pas relancé le débat sur les commotions cérébrales dans le rugby, mais plutôt sur la difficile reconversion des sportifs et le tabou de la santé mentale.

– L’ETC, une maladie mal diagnostiquée –

Il aura fallu un communiqué de la Brain Bank néo-zélandaise, la semaine dernière, pour rouvrir le débat. Une étude du cerveau du joueur a permis d’établir avec certitude que Billy Guyton souffrait d’une ETC, de niveau deux sur quatre, faisant de Guyton le premier rugbyman professionnel en Nouvelle-Zélande chez qui cette maladie a été attestée.

« L’ETC est une maladie neurodégénérative qui pourrait résulter d’impacts répétés à la tête, avec pour corollaire des troubles du caractère et de l’humeur, ainsi que des troubles de la mémoire », explique à l’AFP le docteur Jean-François Chermann, neurologue et spécialiste des commotions.

« Le début est insidieux avec des maux de tête persistants, une impulsivité, qui peuvent commencer parfois avant la fin de la carrière du joueur », ajoute-t-il.

La maladie « évolue in fine vers une démence et une perte totale de l’autonomie », décrit à l’AFP le professeur en neurologie Jacques Touchon.

« Le pauvre homme passait des heures dans un petit placard sombre parce qu’il ne supportait pas d’être à la lumière », expliquait à Radio New Zealand John Guyton à propos de son fils Billy, déplorant qu’il n’ait pas été diagnostiqué plus tôt.

« C’est l’examen au microscope du cerveau qui permet de poser le diagnostic avec certitude. C’est donc un examen qui est fait après le décès et non du vivant du sportif », détaille le docteur Chermann.

« Mais si ça existe dans les autres sports, il n’y pas de raison que ça n’existe pas dans le rugby » assure-t-il, citant comme exemple le football américain ou la boxe, où de nombreux cas sont avérés.

– Le risque des « subcommotions » –

D’anciens joueurs de rugby sont probablement atteints d’ETC, comme l’ex-international gallois Alix Popham, qui a rendu public en 2020 ce diagnostic, annonçant souffrir de démence précoce. L’ancien troisième ligne fait partie des centaines d’anciens rugbymen engagés dans une procédure judiciaire collective contre World Rugby, et les fédérations anglaise et galloise, en raison de maladies neurologiques attribuées à des commotions.

Parmi les plaignants se trouvent également l’ancien capitaine du pays de Galles Ryan Jones, ou le talonneur anglais Steve Thompson, vainqueur du Mondial-2003.

« Il faut faire en sorte d’identifier les joueurs qui pourraient être à risque de développer une ETC », détaille le Dr Chermann, qui pense qu’à partir de cinq commotions, les joueurs devraient bénéficier d’un protocole avec un panel d’examens.

Avec une difficulté supplémentaire: outre les commotions, les rugbymen subissent également de nombreux chocs de moindre importance lors des plaquages, des grattages… Ces « subcommotions » accumulées pourraient également expliquer l’apparition de l’ETC.

Une solution possible: « jusqu’à l’âge de 15 ans, limiter les contacts, et privilégier l’évitement » prône Jean-François Chermann. Une nécessité d’autant plus forte que « le sport amateur n’a pas l’infrastructure médicale du sport professionnel », souligne Jacques Touchon, qui rajoute que « le cerveau de l’adolescent et du jeune adulte est plus sensible aux chocs que celui de l’adulte ».

Mais cette révolution est loin d’être garantie dans un sport aussi admiratif du contact que le rugby.

© 2024 AFP

Nous avons besoin de vous ! Si vous avez apprécié cet article, vous pouvez nous soutenir (c’est gratuit) en nous ajoutant à vos favoris sur Google News.

Cliquez ici pour le faire maintenant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *