Mondial-1991: « ce quart est une bouillie de rugby », se remémore Laurent Cabannes

Mal préparée, l’équipe de France est tombée dans « le piège anglais » en quart de finale de la Coupe du monde 1991, « une bouillie de rugby », se rappelle pour l’AFP l’ancien troisième ligne Laurent Cabannes (59 ans, 49 sélections).

Q: Dans quel état d’esprit abordiez-vous cette Coupe du monde 1991?

R: « C’est la deuxième édition, un peu les prémices, le rugby est encore amateur. L’autre chose importante, c’est qu’on est en pleine pré-élection pour la présidence de la Fédération, d’où un contexte un peu particulier. C’est la fin de la génération Serge Blanco, le joueur emblématique, avec des nouveaux qui arrivent… Il n’y a pas d’histoire collective importante, pas de repères collectifs mais des petites histoires typiques du rugby de cette période-là. »

Q: Votre entame de compétition est très poussive…

R: « On n’est pas transcendant sur les matches de poule, qui n’est pas très relevée. Il y avait la Roumanie, les Fidji et le Canada. On déroule sans être transcendant, on gagne les matches car on a une meilleure équipe. On fait un bon match contre les Fidji à Grenoble sous la pluie, notre meilleur match de poule. Contre la Roumanie à Béziers, l’ambiance n’est pas incroyable mais c’est quand même un événement, il y a un peu de ferveur. Mais on n’est pas brillant. »

Q: En quarts, vous retrouvez vos meilleurs ennemis, les Anglais et vous perdez 19 à 10…

R: « C’est une équipe que l’on n’a pas réussi à battre, c’est la génération (Will) Carling. Ils avaient un gros paquet d’avants, jouaient ensemble depuis un certain temps. Elle était plus homogène, plus organisée et au fait de ce qui se passait dans les années 90. Nos prédécesseurs, comme Philippe Sella, arrivaient à gagner une fois sur deux contre eux mais, à partir de ce match de 1991, ce n’est plus le cas. Ce quart est une bouillie de rugby, on tombe dans le piège qu’ils nous avaient tendu. C’est eux qui mettent un contexte particulier sur ce match, avec de la pression sur l’arbitre. »

Q: Confirmez-vous que M. Bishop a été l’homme de ce samedi noir pour le rugby français?

R: « La presse anglaise avait encore la main sur l’événement à cette époque-là, l’arbitre avait été très influencé par le contexte. Les Français étaient tombés dans le panneau et Bishop avait fait le job. Le match était tendu: dès le début, ils avaient agressé Serge Blanco mais on se faisait tous un peu bousculer à l’époque. Ça avait tendu un peu l’atmosphère, les joueurs français étaient électriques et l’arbitre a choisi son camp dès le début. Il s’est fait traiter de malhonnête. Mais on perd un match qu’on n’aurait pas pu gagner, qu’on n’avait pas suffisamment préparé pour le remporter. »

Q: Pourtant, quelques mois auparavant, vous aviez rivalisé avec eux lors du Tournoi, avec notamment « l’essai du siècle » signé Philippe Saint-André.

R: « A cette période, l’équipe de France était assez irrégulière dans ses résultats. Elle était capable de traverser le terrain, elle l’avait fait à Twickenham, mais elle perdait des matches en marquant deux ou trois essais de plus que l’adversaire parce que les joueurs étaient indisciplinés. Les Anglais savaient que l’on était dangereux mais très indisciplinés. Ils avaient bien pointé nos carences. On avait une bonne équipe, des bons joueurs mais aussi des secteurs qui étaient le reflet de ce qui se passait dans le championnat de France, un championnat heurté, agressif avec beaucoup d’engagement et d’indiscipline. On était en fin de compte le miroir de ce qui se passait dans notre championnat des années 90, où les règles étaient un élément important mais pas totalement enregistré. »

Q: Ce scénario explique-t-il le match du Tournoi suivant contre les Anglais avec les expulsions de Grégoire Lascubé et Vincent Moscato?

R: « Ouais, il y a tout un contexte à l’époque, tout le monde est vent debout contre les arbitres, il y a une mauvaise interprétation des règles et d’appréciation contre les Anglais. Les deux équipes se disputaient le leadership européen, il y avait des rancunes, des vieilles histoires et le Tournoi d’après n’est que le prolongement de ce qui s’était passé en Coupe du monde. Ce sont des restes de 1991, c’est certain (rire). »

Q: Vous avez joué en Angleterre: vous a-t-on reparlé de cette période?

R: « Les Anglais étaient assez +marioles+ à l’époque, ils avaient bien vu que les joueurs français étaient brillants mais il y avait cette réputation que l’on trainait. Ce qui était incroyable et qui les amusait beaucoup, c’est que les Français puissent tomber et rééditer le fait de tomber dans le même truc à chaque fois. »

Propos recueillis par Raphaël PERRY

© 2023 AFP

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