L’Armagnac-Bigorre, fabrique à Bleus

Antoine Dupont

Au bord du terrain d’honneur du CA Lannemezan, le panneau publicitaire d’une entreprise du bâtiment arbore le slogan « Made in Pyrénées ». Le XV de France pourrait presque se l’approprier tant la région, sanctuaire du rugby des villages, lui fournit un large contingent.

Les cimes pyrénéennes se dessinent à l’horizon du stade François-Sarrat, où le pilier des Bleus Cyril Baille a finalement perpétué la tradition rugbystique familiale après s’être essayé au football.

Né à Lannemezan, commune d’un peu moins de 6.000 habitants, Antoine Dupont a grandi à une vingtaine de minutes plus au nord le long de la D929, à Castelnau-Magnoac, dans une famille d’hôteliers bien connue localement.

Avec Julien Marchand (Montréjeau), Anthony Jelonch (Vic-Fezensac) et Grégory Alldritt (Condom), ce sont cinq cadres du XV de France qui ont fait leurs classes dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres, même si le premier, insuffisamment remis d’une blessure, n’affrontera pas les Springboks dimanche en quarts de finale du Mondial.

Dans une pépinière de talents à l’accent du Sud-Ouest, un territoire entre contreforts montagneux et collines gasconnes où la passion pour la chose ovale est inversement proportionnelle à la densité de population.

« C’est une fierté et un formidable encouragement pour tous les jeunes issus de la ruralité ou de nos villes moyennes », se réjouit Antoine Marin, le dernier président de l’historique comité d’Armagnac-Bigorre, qui regroupait les départements des Hautes-Pyrénées et du Gers avant d’être dissout dans la puissante Ligue Occitanie.

– « Bien nourris » –

« Nos parents nous ont bien nourris! », rigole Cyril Baille auprès de l’AFP pour tenter d’élucider une telle concentration d’internationaux dans une région pourtant dépourvue depuis des années de clubs au plus haut niveau.

Le co-président du CA Lannemezan (CAL) Lionel Bégué reconnaît une part d' »inné », avec « pas mal de garçons aux gabarits intéressants », mais les haricots tarbais, le magret et le bon air de la montagne n’expliquent pas tout.

« Les sélections (jeunes) d’Armagnac-Bigorre obtenaient régulièrement des titres nationaux », rappelle Antoine Marin. « Ce n’était pas leur taille qui caractérisait nos garçons, mais le coeur qu’ils mettaient à l’ouvrage, l’identité autour d’un maillot et d’un territoire ».

Depuis qu’il est éducateur au CAL, un club de quatrième division (Nationale 2) fier de sa politique de détection et de formation, Jean-François Gélédan a vu défiler les générations sans jamais percer d’autre secret que le travail.

« Le gros problème, c’est que quand arrive l’adolescence, il y a les mobylettes, l’alcool, les cigarettes et les filles », raconte-t-il. « Ou tu cèdes ou tu te mets à travailler. Eux (les actuels internationaux) se sont mis à travailler. Ils ont été sérieux à ce moment-là et ça leur a réussi ».

Les mousquetaires de l’Armagnac-Bigorre, auxquels s’ajoute le talonneur gersois Pierre Bourgarit, ont un autre « dénominateur commun » selon Lionel Bégué: « Au-delà de leurs qualités rugystiques, qui sont énormes, ils ont tous gardé un bon fond et un attachement à leur terre ».

– Travail, famille, humilité –

« Je prends toujours beaucoup de plaisir à retourner à Lannemezan », confirme le président d’honneur du CAL Cyril Baille, parti à l’âge de 16 ans au Stade toulousain, gros pôle d’attraction pour les pépites régionales. « Aucun de nous n’a oublié d’où il vient ».

L’humilité et la famille en étendards, Baille, Marchand, Dupont, Jelonch, Alldritt et les autres produits locaux entretiennent un cercle vertueux qui devrait permettre à la source de ne pas se tarir de sitôt.

« Tous les gamins s’identifient à eux et leurs parents sont heureux de les voir s’identifier à des garçons vraiment très bien éduqués », appuie Bégué. « Quand Cyril (Baille) vient ici, il apporte plein de trucs pour les petits. Et il le fait en catimini, pas devant les caméras ».

Ce devoir de transmission est « ancré au fond de chaque Lannemezanais », affirme l’un des plus illustres d’entre eux, Philippe Bérot, ancien international devenu co-président du CAL. « On a l’impression qu’on est destinés à rendre au club ce qu’il nous a donnés ».

La fabrique à Bleus tourne depuis longtemps déjà à Lannemezan et ses environs. La petite commune bigourdane avait trois représentants en équipe de France lors de la première Coupe du monde en 1987: Bérot, Philippe Berbizier et Laurent Rodriguez.

Ils avaient alors échoué en finale contre la Nouvelle-Zélande. Leurs héritiers « Made in Pyrénées » rêvent eux de se hisser sur le toit du monde.

© 2023 AFP

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