Le professeur Frédéric Lauwers, qui a opéré le capitaine du XV de France Antoine Dupont à Toulouse après sa fracture maxillo-zygomatique pendant le Mondial-2023, affirme dans un entretien à l’AFP avoir « maîtrisé les risques » d’un retour rapide à la compétition.
QUESTION: Ressent-on davantage de pression au moment d’opérer le capitaine des Bleus en pleine Coupe du monde à domicile?
REPONSE: « Antoine Dupont, c’est le Stade toulousain, quelqu’un qu’on croise, qu’on connaît. C’est Castelnau-Magnoac, les Hautes-Pyrénées, la Bigorre… Je suis Tarbais. Ca aurait peut-être été plus compliqué d’opérer Ardie Savea (joueur des All Blacks), pour différentes raisons. La première, c’est la perspective de pouvoir suivre l’affaire jusqu’au bout, car ce n’est pas le geste chirurgical qui fait tout. Dans le cas de Dupont, ça allait (pour le suivi). La pression vient de tout ce qui se passe autour, du brouhaha, du buzz ».
Q: Avez-vous été surpris par l’ampleur médiatique prise par cette blessure?
R: « La presse l’avait déjà opéré à 16h00 alors que je l’attendais encore à l’hôpital… Il y avait des journalistes à tous les étages. Ensuite, tout était lié à la reprise d’activité. Il fallait donner des réponses avant même de l’avoir vu ou juste après l’avoir opéré alors que ça n’avait pas de sens. Un coup tout le monde voulait qu’il joue contre l’Italie, un coup 56% des Français disaient que c’était de la chair à canon, qu’on allait le tuer, qu’il ne fallait pas qu’il joue. On avait l’impression que tout était soumis au vote du public ».
Q: La prise en charge, dès le lendemain du choc, a-t-elle été exceptionnellement rapide?
R: « Je me souviens avoir opéré un jour avant la fin de la deuxième mi-temps d’un match un joueur qui s’était fait mal lors de la première. Si on commence à tergiverser, à attendre que ça dégonfle, c’est perdu d’avance. Ce n’est pas inhérent à Dupont (…) On n’a pas eu la pression du staff ».
Q: Dans quel état d’esprit avez-vous regardé le quart de finale contre l’Afrique du Sud?
R: « J’étais au Stade de France. Ca me paraissait logique. Rassurant, je n’en sais rien. Je regardais beaucoup Antoine pour voir comment ça allait. J’en ai même discuté directement avec (le sélectionneur) Fabien Galthié parce que ça m’intéressait d’avoir sa vision sur sa compétitivité, son niveau de performance… Il m’a dit que tout était normal. J’ai regardé à nouveau le match à la télévision et il prend des chocs directs, il va au plaquage sans aucune appréhension ».
Q: Pourquoi lui avoir recommandé de porter un casque?
R: « Si on regarde la vidéo de l’impact avec une vision professionnelle, on voit qu’il le prend très latéralement. S’il avait porté un casque sur France-Namibie, on n’aurait probablement pas eu de fracture ou autre chose. Le casque protégeait directement la partie touchée. Il avait aussi un intérêt indirect, proprioceptif. Si vous mettez un casque à un joueur qui n’en porte jamais, il change sa proprioception, il la cale sur le fait qu’il a une raison de porter ce casque ».
Q: Quels enseignements tirez-vous de cet épisode?
R: « Ce serait intéressant de faire tomber un peu les dogmes: on a une fracture, une fracture se consolide en six semaines, donc l’arrêt est de six semaines. On a sur la période post-opératoire différents éléments qui permettent de redresser la barre et de raccourcir les délais basiques de la consolidation. Je ne voudrais pas qu’on sorte de cette histoire-là en disant que ce qu’on a fait pour Antoine Dupont était risqué. Si on l’a mis sur le terrain, c’est parce qu’on savait que ça ne l’était pas. On a maîtrisé les risques ».
Q: La médiatisation de cette fracture a indirectement mis en lumière la chirurgie maxillo-faciale, une spécialité relativement méconnue…
R: « On est souvent associés à des choses un peu graves, autour des conflits. Les équipes des principaux CHU de France vont probablement partir en Ukraine à tour de rôle l’an prochain pour aller soigner des gens qui ont de gros traumatismes faciaux, des vraies +gueules cassées+ de la guerre. Il y a eu les attentats de Paris avec Chloé Bertolus à la Salpêtrière dans le livre « Le Lambeau » (de Philippe Lançon). C’est une visibilité toujours un peu dramatique. Là, le drame était un peu différent. Il ne faut pas minimiser le fait que le joueur avait un os cassé. Mais c’était la Coupe du monde, un événement festif, international. Cela amenait un autre éclairage sur notre travail quotidien ».
Propos recueillis par Sébastien DUVAL
© 2023 AFP
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