« vouloir détruire l’adversaire », une « dérive » dénoncéee par un père endeuillé

Philippe Chauvin

Plus de quatre ans après la mort de Nicolas, un Espoir du Stade français décédé à 18 ans à la suite d’un plaquage dangereux, son père, Philippe Chauvin, dénonce dans un entretien accordé à l’AFP les « dérives » d’un sport, le rugby, qu’il aime pourtant toujours.

Q: Votre livre est intitulé « Rugby: mourir fait partie du jeu ». C’est un message fort…

R: « Ce livre est un témoignage de ce qu’on a pu vivre lorsqu’on a perdu notre fils sur un terrain de rugby à la cinquième minute d’un match, ce qui paraît très improbable, surtout l’arrachement de la seconde vertèbre cervicale, et des questions qui sont restées sans réponse. Parce que, très naïvement, après, je me suis adressé à la Fédération française de rugby (FFR), puis au ministère des Sports, et je me suis vite aperçu qu’on n’avait pas très envie de me répondre parce que c’était un événement qui, finalement, ne les intéressait plus. »

Q: Vous avez tapé en vain à beaucoup de portes…

R: « Cette absence de réponses laisse sous-entendre que +Oui, et alors ? C’est la vie+. Ce n’est pas ce qu’on avait entendu lorsque Nicolas est mort (en décembre 2018). Il y a eu quand même pléthore de témoignages, de grandes déclarations, d’émotion, qui laissaient entendre que finalement, c’était inacceptable, que cela ne devait pas se reproduire et qu’on ferait le maximum pour changer les choses. Mais, en fait, quand je suis +passé à la caisse+, il n’en est pas ressorti grand-chose ».

Q: Que reprochez-vous aux instances du rugby français ces dernières années ?

R: « Beaucoup de gesticulations, beaucoup de +mesurettes+ qui visent à donner le change et qui sont très bien présentées par la FFR, qui est remarquable en termes de communication. Sur ce point, on touche au professionnalisme. En revanche, sur la gestion de la crise et celle des dangers mortels, là, on est au niveau amateur le plus bas ».

Q: Qu’espérez-vous sortir de positif de votre drame personnel ?

R: « J’aime — j’ai du mal à le dire à l’imparfait — mon fils mais j’aime aussi ce sport. Et je ne veux pas qu’on en change les règles. Elles sont certainement perfectibles. Le rugby est un sport assez complexe, avec beaucoup de règles. La fuite en avant serait de rajouter de la complexité à ce qu’on a déjà ».

Q: Vous vous êtes battu pour que la règle 9 alinéa 11, édictée par World Rugby, selon laquelle « les joueurs ne doivent rien faire qui soit imprudent ou dangereux pour autrui », soit inscrite sur les licences. La FFR a annoncé que ce serait fait à la rentrée: êtes-vous satisfait ?

R: « Le message a été long à faire passer mais on a beaucoup de chances avec la ministre (Amélie Oudéa-Castéra, ndlr), qui a été à l’écoute, et Florian Grill (le nouveau président de la FFR, ndlr), qui se sont emparés du sujet. Ensuite, je resterai vigilant, afin que l’on ne se disperse pas trop et qu’une direction des risques se mette enfin en place, car ça me paraît indispensable ».

Q: Comment qualifiez-vous le rugby actuel, vous qui y avez joué en amateur ?

R: « On a quand même cette dérive qui conduit dans la pratique à vouloir détruire l’adversaire, à vouloir le blesser, à le sortir du jeu. Très simplement, ce sont des tricheurs. Et ce qui est curieux, c’est que c’est à moi d’expliquer les règles, que ce serait bien qu’on les respecte. Or, derrière, on a une petite musique de fond, alimentée par quelques-uns qui prétendent que le rugby est un sport de combat, que la violence est normale et qu’on peut mourir. Là où les gens devraient réagir maintenant, c’est quand ils voient des gestes qui sont de véritables attentats, à retardement ou même dans l’action, qui visent à blesser l’autre. Est-ce que vous avez envie de gagner comme ça sérieusement ? Est-ce que c’est ça le sport ? ».

Propos recueillis par Laure BRUMONT

© 2023 AFP

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