Avec Vannes, le rugby conquiert enfin la Bretagne

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Avec l’accession possible de Vannes au Top 14, samedi, la Bretagne, longtemps hermétique aux charmes du rugby, s’est trouvée une locomotive pour mettre fin à cette anomalie historique et se faire une place en Ovalie.

Terres aux racines gaéliques entretenant des liens culturels, commerciaux et touristiques forts avec la Grande-Bretagne, la région semblait destinée à s’enticher du jeu à XV.

Il a pourtant fallu attendre 2016 et la montée du Rugby Club de Vannes en Pro D2 pour qu’un club breton accède au statut pro.

Bien implanté au tournant du siècle, « le rugby disparaît dans les années 20, dans les années 30 et après la Seconde Guerre mondiale », pointe Loïc Ravenel, chercheur au Centre International d’Etudes du Sport (CIES), joint par l’AFP.

L’explication la plus souvent évoquée est la défiance des patronages catholiques, très puissants en Bretagne, envers ce sport « jugé comme trop violent et comme un sport qui entraînait des contacts corps à corps, alors que le football avait empêché cela », a admis M. Ravenel.

Mais à en croire Joris Vincent, maître de conférence de l’Université de Lille, spécialisé dans l’histoire du sport, l’enjeu était aussi « politique ».

« Les républicains à partir de 1870 veulent reprendre le pouvoir sur la jeunesse (…) par l’intermédiaire de la mise en place et le développement des pratiques sportives » autour du rugby, avec les figures de Pierre de Coubertin, Georges de Saint-Clair ou Frantz Reichel, a-t-il expliqué à l’AFP.

– Mainmise institutionnelle du sud-ouest –

Le football est favorisé comme un « contre-pouvoir face à la République », en Bretagne et dans tout le nord de la France, avance-t-il.

Les échanges commerciaux seront aussi un vecteur important de diffusion du rugby. Les ports, comme Nantes ou Saint-Nazaire, ont été des îlots rugbystiques mais Bordeaux, le canal du Midi et les routes du commerce du vin l’ont ancré dans le sud-ouest.

Le phénomène s’est accentué lorsque le rugby s’est doté d’instances dirigeantes.

« A la création de la fédération française de rugby en 1919 ce sont, on va dire, des dirigeants du sud-ouest, de Périgueux, de Toulouse, qui vont gouverner la fédération et (…) il va y avoir un investissement plus important autour des pratiques dans le sud », résume M. Vincent.

« Dans les années 1930 ou entre deux guerres, tout un tas de clubs en Bretagne, en Normandie, disent que ça devient trop compliqué d’aller jouer à Castres, à Montauban, à Toulouse parce que c’est loin et qu’ils n’ont pas les moyens ni le temps de partir là-bas », confirme M. Ravenel.

« Que ce soit aux échelles nationales ou à l’échelle mondiale, le rugby a un peu cette idée de sport d’élite », a-t-il poursuivi, pointant que la première Coupe du Monde, en 1987, a eu plus de 50 ans de retard sur celle de football.

– La fin du paradigme isolationniste –

« On joue entre soi, on a des tournois, on fait des tournées, on rencontre les gens que l’on désire. On est entre gentlemen d’une certaine manière. C’est un sport qui a gardé un petit peu cette idée d’élitiste du sport britannique », a détaillé M. Ravenel.

Mais avec le tournant du professionnalisme, au début des années 1990, ce paradigme « isolationniste » vole en éclat.

« Quand il a fallu trouver de l’argent, on s’est quand même rendu compte que c’est plus compliqué à Castres, à Montauban, à Agen, à Auch que dans d’autres métropoles où il va y avoir du public et plus de moyens », a résumé le chercheur du CIES.

« A partir des années 1980 pour (…) avoir des subventions de la part du ministère, il faut développer le vivier de licenciés et un des facteurs de développement, c’est ces régions +désertiques+ », mais aussi le « vivier féminin », a renchéri M. Vincent.

Dans l’élite féminine, on trouve ainsi les équipes de Lille ou du Stade Rennais.

Après La Rochelle, qui avait déjà fait figure, en son temps, d’OVNI dans la galaxie ovale, Vannes a construit patiemment un projet viable pour viser le plus haut niveau et une victoire contre Grenoble, samedi, à Toulouse, permettrait une bonne fois pour toute au rugby de devenir un sport vraiment national.

© 2024 AFP

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