Mal en point avant la Coupe du monde 1999, les Bleus se transcendent et parviennent à atteindre la finale: « à Twickenham, les Anglais chantent la Marseillaise! », résume pour l’AFP l’ouvreur Christophe Lamaison (52 ans, 37 sél.), acteur majeur de la demi-finale d’anthologie contre la Nouvelle-Zélande.
Q: Dernier du Tournoi, une tournée catastrophique avec des défaites aux Tonga (20-16) et en Nouvelle-Zélande (54-7): vous n’êtes pas dans les meilleures dispositions avant ce Mondial?
R: « L’année a été compliquée et je ne vous cache pas qu’il y avait pas mal d’hostilité de la part des supporters car on n’amenait pas forcément de garantie en termes de résultats. Lors de la préparation, on se faisait parfois siffler lors des entraînements, ça avait le don de nous énerver ».
Q: Sans être brillant, vous passez les poules et en quarts, l’Irlande vous est promise…
R: « Après le match des Fidji (28-19), on quitte la France et là, il y a eu un bol d’air, moins de pression. Et la chance nous sourit. Au lieu de l’Irlande à Dublin, on joue les Argentins qui ont eu un match très difficile en barrage quatre jours avant contre les Irlandais. Nous, on est prêts (victoire 47-26) et des joueurs commencent à s’affirmer. L’arrivée de Fabien Galthié (après la blessure de Pierre Mignoni, NDLR) donne une bouffée d’oxygène au groupe et la force du staff a été de lui donner un peu les clés du camion. Bien évidemment, il les a prises et a emmené tous les leaders de jeu ».
Q: La montagne All Black avec Jonah Lomu se dresse devant vous en demie. Le souvenir de la déroute de juin est-il encore présent?
R: « C’est complètement différent. Tu sais qu’au pire, tu finis quatrième de la compétition. Le discours de Pierre Villepreux a été de démystifier cette équipe. Il fallait trouver des systèmes, des astuces. Émile Ntamack s’était aperçu lors des matches de la tournée 1994 que Lomu n’arrivait pas à enchaîner les courses. On a décidé de jouer au pied derrière lui pour le faire reculer et courir. Quand j’ai dit ça à Philippe Bernat-Salles, il avait un peu peur +et si tu rates un coup de pied?+ Je lui ai répondu +Démerde-toi, tu prends le bus+ (rires). On avait aussi vu que dans leur 22 mètres, ils ne défendaient que sur une ligne d’où le coup de pied par-dessus. On l’avait travaillé 150.000 fois à l’entraînement et la situation arrive le jour J, ça c’est extraordinaire. »
Q: A la pause, les Blacks sont devant (17-10). Quelle est l’atmosphère dans le vestiaire?
R: « On n’est pas +fanny+, on a marqué un essai, on sent qu’on est présent, on ne subit pas comme en juin. Il y a toujours des prises de paroles. Je me souviens surtout de celle de Marc Lièvremont, pas le plus loquace, qui dit +regardez, ils ont un regard qui a changé+. Ces mots-là tu les prends, ça te rebooste et tu rentres sur le terrain en te disant qu’on a 40 minutes pour décrocher quelque chose d’inespéré ».
Q: A la reprise, Lomu marque mais vous réagissez tout de suite…
R: « On voulait marquer des points à tout prix. Un drop te permet d’en marquer trois. A chaque fois qu’on était chez eux, on essayait de le faire. La confiance qui était en nous arrivait à point, on sentait du plaisir entre nous. A Twickenham, les Anglais chantent la Marseillaise, il faut quand même le souligner, et sur le terrain, tu sens que l’ambiance change, que les Blacks ne savent pas ou ne savent plus. On avait réussi à semer le doute en restant sur notre plan de jeu et ça marquait à chaque fois. C’est simple le rugby finalement! Un moment magique. Il n’y en a pas 150.000 dans ta carrière mais celui-là était vraiment magique ».
Q: Derrière, il y a encore un match, la finale…
R: « Après les Blacks, il y a de l’euphorie mais aussi une espèce de rappel à l’ordre. On s’est dit +ne faisons pas la même erreur que ceux de 1987+. Mais, très sincèrement, c’est dur de rééditer deux exploits, c’est ça le problème. Puis les Australiens étaient une machine à gagner. Il nous a manqué un peu de tout: une mauvaise préparation, on n’était pas focus à 200% sur cette finale, on se mélange un peu les pinceaux, on prend un +essai casquette+. On n’a pas su mettre les bons ingrédients pour préparer la finale et être champion ».
Q: Avec le recul, qu’est-ce que vous retenez?
R: « Ce qui me reste, c’est l’ambiance et tous ces gens qui se rappellent de ce match, qui se souviennent où ils étaient, avec qui, ce qu’ils faisaient. Vingt-cinq ans après, c’est ça qui est le plus merveilleux. Personne ne croyait en nous à l’époque mais tout le monde était devant le poste de télévision en début de seconde période. On avait réussi à travers ce match-là à embarquer les supporters du rugby français. Le reste nous appartient ».
Propos recueillis par Raphaël PERRY
© 2023 AFP
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