Dublin, 17 mars 2023 (AFP) – Deux hymnes seront joués samedi à Dublin pour l’Irlande avant son match contre l’Angleterre dans le Tournoi des six nations, une particularité destinée à mieux incorporer les joueurs Nord-Irlandais, réunis sous le même maillot que ceux du reste de l’île.
Trevor Ringland, lorsqu’il jouait pour le XV du Trèfle dans les années 1980, n’avait pas d’autre choix avant chaque rencontre que d’écouter respectueusement, en silence, l’hymne irlandais Amhran na bhFiann (La Chanson du soldat).
Né à Belfast, en Irlande du Nord, il ne pouvait pas politiquement s’identifier à ce chant nationaliste en pleine période des Troubles, le conflit entre républicains (majoritairement catholiques) et unionistes (majoritairement protestants) qui a fait plus de 3.500 morts durant trois décennies.
Contrairement au football et à la plupart des autres sports, la sélection irlandaise de rugby représente l’ensemble de l’île: la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, administrativement rattachée au Royaume-Uni.
La politique restait toutefois à la porte du vestiaire, « grâce aux amitiés que nous avions nouées au sein du groupe », raconte Ringland à l’AFP. « Tout le monde était intégré, les Irlandais nous acceptaient en tant que Britanniques et vice-versa ».
– Ballade romantique –
L’ancien ailier, aujourd’hui âgé de 63 ans, s’est retrouvé impliqué malgré lui en avril 1987, alors qu’il se rendait à un entraînement avec plusieurs coéquipiers, dans une attaque à la bombe de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) visant un juge, tué sur le coup avec sa femme.
Victime collatérale, le troisième ligne international Nigel Carr, qui se trouvait dans une voiture à proximité de l’explosion, a été contraint de mettre un terme à sa carrière en raison de ses blessures.
« Notre amitié et notre volonté de dépasser les clivages ont été plus fortes que l’amertume et la haine qui auraient très bien pu en découler », se souvient Ringland. « C’est ce que cherchaient les plus extrêmes des deux camps: séparer les gens car il est plus facile de se détester quand on ne se connaît pas ».
Cet incident a encouragé les instances irlandaises à remplacer quelques mois plus tard, pour la première Coupe du monde de rugby de l’histoire, l’Amhran na bhFiann et ses paroles guerrières par une douce ballade romantique, The Rose of Tralee.
« Il y a beaucoup de chansons pour lesquelles vous seriez prêts à donner votre vie, mais pas celle-ci », s’amuse Ringland.
– « Respect et tolérance » –
Le compositeur Phil Coulter a donc hérité en 1995 d’une mission délicate: écrire un nouvel hymne, plus entraînant et politiquement neutre, qui permettrait à tous, républicains comme Nord-Irlandais, de se sentir à leur place sous le maillot vert. Ainsi naquit l’Ireland’s Call (L’Appel de l’Irlande).
« C’était absolument nécessaire », estime auprès de l’AFP un autre international des années 1980, Hugo McNeill, natif de Dublin. « Certains l’apprécient, d’autres moins. Il donne en tout cas l’opportunité à ceux qui souhaitent la réconciliation de partager un hymne ».
« Phil (Coulter) peut en être extrêmement fier », poursuit l’ancien arrière. « J’aime bien l’idée derrière. Il encourage le respect et la tolérance. Ce qu’il y a de bien avec l’équipe d’Irlande, c’est qu’elle reflète l’ensemble des identités de l’île ».
Parfois moqué à ses débuts pour ses paroles un peu simplistes — « épaule contre épaule, nous répondrons à l’appel de l’Irlande » –, l’Ireland’s Call ne prête plus vraiment à discussion aujourd’hui, d’un côté de la frontière comme de l’autre.
C’est le seul hymne joué avant les matches à l’extérieur de l’Irlande. Samedi, La Chanson du soldat résonnera également à l’Aviva Stadium de Dublin avant d’aller chercher le Grand Chelem contre l’Angleterre. Les joueurs nord-irlandais l’écouteront comme toujours respectueusement, en silence, en sachant désormais qu’ils ont eux aussi voix au chapitre.
© 2022 AFP
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