Au Japon, « les prémices d’aujourd’hui », retient Jefferson Poirot

Jefferson Poirot
Jefferson Poirot

Des tensions en coulisses à l’émergence d’un groupe: le pilier et vice-capitaine des Bleus Jefferson Poirot (30 ans, 36 sél.) retrace pour l’AFP l’épopée en 2019 du XV de France, socle de la génération actuelle, stoppé en quart de finale par les Gallois.

Q: Reconstruire sur les cendres de 2015 a-t-il été aisé?

R: « J’ai trouvé que ça avait bien commencé sous Guy Novès, avec un projet qui commençait à prendre forme. Lors du Tournoi 2017, on finit troisième, ça faisait longtemps que ce n’était pas arrivé, avec ce match gagné contre les Gallois au bout de 100 minutes. On avait aussi gagné une tournée d’été en Argentine. Malheureusement, avec le changement à la tête de la Fédération, il y a eu des conflits en interne, c’était assez mouvementé. On a senti une petite cassure entre la présidence et le staff et derrière on n’a pas réussi à se rassembler derrière un projet sportif. On a concédé des défaites assez surprenantes, comme face aux Fidji (21-14). Honnêtement, c’était très difficile à vivre sachant que les poules de la Coupe du monde étaient déjà sorties et qu’on avait hérité de celle +de la mort+. »

Q: A quel moment redevenez-vous une équipe?

R: « Lors de la préparation, avec l’arrivée dans le staff de Fabien Galthié, Thibault Giroud et Laurent Labit. On s’est vraiment régalés, c’est là qu’on a créé une cohésion, un bien vivre ensemble. C’est con, ça faisait quatre ans qu’on était ensemble mais on s’est tous découverts les uns les autres sur cette préparation. Ceux qui avaient vécu 2015, la déconvenue du quart contre les Blacks (62-13) donnaient le meilleur d’eux-mêmes. Je ne sais pas si cela planait autour d’eux mais ils étaient très investis. »

Q: Dans votre poule, vous avez deux concurrents pour la qualification: l’Angleterre et l’Argentine contre laquelle vous débutez…

R: « Ce qui pouvait être rassurant, c’est que sur cette mauvaise période, les seuls qu’on a vraiment battus, ce sont les Argentins. On nous promet l’enfer, c’est le match à ne pas perdre et on le gagne en équipe (23-21). Une grosse première période, plus dur en deuxième et on a la chance que Camille Lopez passe le drop à la fin. Il y a encore des matches derrière mais il y a alors de grandes chances qu’on se qualifie. Contre les États-Unis (33-9), on est accroché pendant 60 minutes et on arrive à basculer sur la fin en marquant trois essais. Et face aux Tonga, on est +ric-rac+ (23-21). »

Q: L’annulation du match face aux Anglais en raison d’un typhon vous perturbe-t-il?

R: « Ça aurait été bien de le jouer mais cela nous a permis de nous concentrer pendant quinze jours. On n’avait pas vraiment peur du pays de Galles en quarts, on ne se sentait pas inférieurs à cette équipe qui avait réalisé le Grand Chelem en nous battant à la dernière minute chez nous. Honnêtement, on préférait prendre les Gallois plutôt que l’Australie. »

Q: Et vous livrez ce jour-là votre meilleur match de la compétition…

R: « C’est un match très abouti, on l’a joué pleinement. Malheureusement, il y a ce fait de jeu et ce carton rouge (de Sébastien Vahaamahina, NDLR). Vous savez, on passe tellement de temps ensemble depuis quatre mois. On est ensemble, on gagne ensemble, on perd ensemble. Tout le monde est allé le réconforter, c’était lui le premier malheureux. Sur les 30 minutes à quatorze, on résiste, on est bien et ils arrivent à nous battre sur cette dernière mêlée chahutée avec leur N.9 qui arrache le ballon dans les bras de Charles Ollivon au cul de la mêlée (20-19). Ça laisse des regrets car on avait la capacité de passer en demie. »

Q: Sentez-vous alors que la nouvelle génération a pris les clés du camion?

R: « A 100%, que ce soient Antoine Dupont, Romain Ntamack, Damian Penaud… Des mecs qui jouent aujourd’hui, il y en a beaucoup qui y étaient. Quand je voyais notre ligne de trois-quarts, je me disais qu’aucune équipe n’est plus forte que nous derrière et cette génération est encore-là. Il y avait un énorme potentiel, les prémices d’aujourd’hui. »

Q: Quatre ans plus tard, que retenez-vous de ce Mondial japonais?

R: « Ça reste la meilleure expérience de ma vie. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la fraternité qui s’est créée au fil des mois, des semaines, des jours, quelque chose de très fort qui se vit avec ces gars, ce lien qui nous avait manqué auparavant. Il y avait un vrai contraste entre ce que l’on avait vécu jusque-là et ce que l’on avait vécu pendant la Coupe du monde. »

Propos recueillis par Raphaël PERRY

© 2023 AFP

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